La haine de la vieillesse avec le magazine “ELLE”

Parfois, on aimerait se laisser aller à penser que les magazines féminins pourraient nous lâcher la grappe deux minutes sur les injonctions à être jeune et belle… Mais ça, évidemment c’est une utopie, un rêve qui s’écrase brutalement sur la Une du magazine « Elle » du mois de novembre 2017. En effet, le « spécial chirurgie esthétique » avec pour arrière-plan une Mélanie Laurent sans pore, nous a gentiment remises face à la réalité : Mesdames, soyez jeunes ! Et surtout n’oubliez pas que ce que l’on autorise aux hommes n’est pas valable pour vous ! (Combien de fois faudra-t-il vous le répéter !?)

C’est ainsi que nous découvrons l’article fleurant l’âgisme intitulé « Visage : 15 interventions auxquelles on croit ». Comme d’habitude, les photos sont parfaitement appropriées au sujet : quoi de mieux que Jessica Burley, un mannequin au début de sa vingtaine pour représenter un article qui va vous parler de lifting des paupières et de pattes d’oie, même si on peut le constater bien vite, les fameuses « 15 interventions » sont ouvertes à tous les âges, donc à toute femme gravement complexée, qu’elle ait 20 ans ou 70 ans.

Bien sûr, cette chronique n’est pas là pour vous faire peur, bien au contraire !  Avec le magazine « Elle », on nous vend des « interventions » dans un langage qui rassure : on va vous parler de « nouvelle technique », de « zéro chirurgie », de « froid », de « combo high-tech », d’« injection subtile », de « stratégie » et de « duo prometteur ». Et même si, dès la lecture du titre j’ai eu envie de brûler le magazine et de retourner lire « Beauté fatale » de Mona Chollet, il faut avouer qu’à sa décharge, ce sujet peut m’en apprendre beaucoup sur les nouvelles injonctions beauté auxquelles nous devons nous conformer pour faire partie de « l’élite » : ces femmes jeunes qu’on adule (ou pas).

J’ai donc choisi parmi ces « 15 interventions » les six qui me semblaient les plus révélatrices de l’hystérie ambiante.

Alors, c’est parti mesdames, munissez-vous de votre carte de crédit, et entreprenez ce merveilleux voyage à travers les normes folles qui régissent votre physique :

1. « Défroisser le regard »

Oui, sachez qu’avoir les paupières supérieures qui « commencent à se relâcher », c’est très mauvais signe, car cela sous-entend que vous vieillissez ! Et ça, on n’aime pas du tout. Du coup, « Elle » vous propose, pour la bagatelle de 300€ la séance, le « Plexr » qui semble pourtant ne donner de résultat « qu’au bout de plusieurs séances » #ParIciLaMonnaie.

Bien sûr, le Plexr convient à celles qui ne sont pas encore « prêtes pour une blépharoplastie (lifting des paupières) » ou à celles qui n’ont pas encore mis de côté 2 500€ à 4000€ pour cette intervention où l’on vous injecte de la graisse dans l’arcade sourcilière, et qui vous permet de reprendre le boulot après seulement 3 jours « en camouflant les bleus ».

2. « Effacer un air triste ou anxieux »

Une « belle » femme, c’est avant tout une femme heureuse, épanouie, toujours pimpante ! Alors que faire de votre expression morne ? Franchement, ce n’est pas possible ! Le magazine vous conseille alors « la toxine botulique » que l’on ne présente plus. « Il suffit d’injecter le front, la pointe du sourcil et la patte-d’oie » #Easy. A écouter le Dr Olivier Claude, on en redemanderait presque : « La séance est courte et quasi indolore, l’aiguille fine à peine perceptible et on reprend son activité sans souci juste après. » Un petit miracle donc à partir de 350€ !

Il faut savoir tout de même que pour éviter l’effet figé, la dose doit être bien maîtrisée… Et pour celles qui voudraient aller plus loin dans la chirurgie et dans leur crédit, sachez qu’ « une chirurgie des sourcils ou du pourtour des lèvres » est possible à partir de 1 500€.

3. « Affiner un double-menton »

Bah ! Qu’est-ce que c’est laid un double-menton ! T’as pas honte ?! Heureusement, « cap sur le menton » avec « Elle » et sa « cryolipolyse qui fait fondre les graisses localisées du corps ». C’est ainsi qu’en 2017, on peut geler ta graisse du menton et la détruire. So exciting ! Sache (tout de même) que tu ne sentiras plus ton menton « pendant plusieurs jours. » #600à1200€.

Par contre, « Si la peau est trop relâchée autour, au niveau du cou ou des bajoues, l’effet sera décevant. » (Evidemment si tout le reste autour est moche, il faut envisager un lifting complet, pauvre bécasse… !)

Et il ne faut pas grossir non plus si tu veux garder les effets positifs de cette intervention. (Mais bon, ça fait longtemps qu’on nous interdit de grossir. #Routine)

Pour aller encore plus loin, avec 2000€ à 3000€, on vous propose d’aller au bloc pour « une mini-aspiration des graisses à la seringue », c’est une lipoaspiration (on en apprend des termes avec Elle !).

4. « Un combo high-tech pour combler un relâchement »

Ah, le fameux relâchement de la peau ! LA malédiction qui rend notre contour du visage « moins dense » et « moins défini » …  J’espère que comme moi vous êtes calées en ondes électromagnétiques, car pour s’en prémunir le magicien chirurgien aura besoin de sortir l’artillerie lourde : de la radiofréquence à la lumière pulsée en passant par le laser. #AuSecours
Heureusement, « Elle » nous précise que ces techniques ne sont pas douloureuses. (Ça fait toujours du bien à entendre). Après on nous explique gentiment que si on est « assidue » (c’est-à-dire qu’il faut faire plusieurs séances, « ce qui représente un budget »), on pourra reculer « l’heure de la chirurgie » … Donc concrètement, ce combo high tech à 150 – 250 euros la séance ne t’empêchera pas de passer par la salle d’opération plus tard, où là ce sera tout de suite plus douloureux. Si ça ne te tente pas, tu pourras toujours te rabattre sur « les fils de remaillage » que l’on t’injecte « par dizaines » pour « prévenir du relâchement » … Bon, après c’est « éphémère » car ça ne dure pas plus d’un an pour 600 à 800 euros… #ThisIsAJoke

5. « Un lifting pour récupérer son ovale»

Alors là, on s’adresse aux femmes avec « les contours flous et les bajoues marquées », celles qui n’ont plus d’ovale ! Rassurez-vous, un docteur nous assure que, depuis le temps, ils ont fait des progrès, et donc « on décolle moins de peau qu’avant ». #J’aimeLeProgrès Par contre, c’est « une nuit d’hospitalisation » avec une « anesthésie générale ». « Elle » vous donne un site internet si vous voulez plus d’infos. #NonMerci

Tout cela pour « un visage défatigué et rajeuni » ! En plus, vous êtes « présentable après trois jours si on a des cheveux longs pour masquer les ecchymoses et le gonflement situé devant et derrière les oreilles ». Elle est pas belle la vie ?! Bon, c’est vrai qu’il faut quand même que vous déboursiez 7 000 à 15 000 euros, mais n’oubliez pas l’adage : il faut s’appauvrir pour rester jeune !

6. « Plumper » nos lèvres

Pour celles qui ne parleraient pas le langage-qui-fait-genre-t’es-trop-cool, « plumper » signifie engraisser, repulper, en anglais. Bref, les lèvres trop fines c’est bif bof et ça fait vieux. Donc pour cela, après avoir payé 350 euros ou plus, « on injecte un acide hyaluronique peu volumateur », on nous prévient que « la bouche peut ensuite être très gonflée pendant vingt-quatre heures » (c’est toujours bon à savoir #KimKardashian). Evidemment le plumpage ne dure que 9 mois, et en plus, si « les lèvres sont très fines et rentrent vers l’intérieur », c’est mort.

Enfin, l’article se termine sur l’évolution de la prise en charge des patientes (ou patients) grâce à un protocole de consultation qui permettrait de mieux cerner les réels besoins esthétiques de la patiente. L’inventeur de ce protocole, un « chirurgien star au brésil », explique : « plus que des ‘injecteurs’, les médecins doivent aujourd’hui être de véritables experts et maîtriser le langage de l’esthétique faciale ». Une bien jolie phrase qui surfe sur un marché exponentiel qui ramasse un gros paquet de fric.

De plus, partir à la chasse aux signes de l’âge ne fait qu’enfoncer les femmes dans leurs (trop nombreux) complexes.

Pour finir, on ne peut qu’être déconcertée de voir à quel point « Elle » nous vend la chirurgie esthétique comme une simple crème de jour : « Injections bonne mine, lifting ciblé, peeling doux… Le bilan sur ces techniques de médecine esthétique qui peuvent nous donner du peps et requinquer notre peau. » dit « Elle » en introduction… ou l’art dangereux d’utiliser un langage inoffensif pour parler de chirurgie invasive aux profondes conséquences tant physiques que psychologiques.

En bref “ELLE” ton article, ton langage aseptisé et tes photos irréelles… en un seul mot :

Malhonnêtes.

Lise M.

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